Dernière mise à jour le 29/11/2020

Comment expulser un locataire auteur de troubles de voisinage ?

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Le locataire, auteur de troubles anormaux de voisinage, peut voir son bail d’habitation résilié et son expulsion ordonnée de son logement par son bailleur ou le syndicat des copropriétaires. En cas d’inertie du bailleur, ce dernier pourra voir sa responsabilité engagée par tout occupant de l’immeuble ou le syndicat..

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Le locataire a pour obligation principale d’« user de la chose louée raisonnablement, et suivant la destination lui qui a été donnée par le bail (…) » en conformité de l’article 1728 du Code civil. Cette obligation est également reprise par l’article 7 b) de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989, régissant les beaux d’habitation.

Pourtant, il arrive souvent qu’un locataire commette des troubles anormaux de voisinage au sein d’une copropriété (1).

Dans de telles circonstances, le bailleur doit l’assigner aux fins d’obtenir la résiliation judiciaire de son bail et son expulsion (2). Si celui-ci reste inactif face aux agissements de son locataire, sa responsabilité peut être engagée par tout occupant de l’immeuble et il peut être condamné à des dommages et intérêts en raison du trouble subi par ses copropriétaires (3). Le Syndicat des copropriétaires pourra également assigner solidairement le bailleur et son locataire aux fins d’obtenir des dommages et intérêts et la résiliation du bail le liant à son locataire (4).

Pour que le trouble engage la responsabilité de son auteur, encore faut-il, d’une part, qu’il cause un préjudice à la victime et, d’autre part, que ce préjudice soit réparable. En effet, il se peut que le trouble puisse parfaitement exister, sans pour autant causer de préjudice à la victime, à tout le moins de préjudice réparable.

Par cet article, Lorène DERHY, avocat en droit immobilier à Paris, vous explique les démarches à suivre.

1. Quels sont les troubles anormaux du voisinage commis par un locataire ?

La notion de trouble anormal de voisinage étant une construction purement jurisprudentielle et ne faisant l’objet d’aucune définition légale, elle donne lieu à un contentieux abondant.

Selon les principes que la jurisprudence a dégagés depuis de nombreuses années, le trouble peut être défini comme une atteinte aux conditions de jouissance du bien d’autrui. Il s’apparente, autrement dit, à une nuisance.

Les formes que peut prendre cette nuisance sont toutefois innombrables et se pose alors la question de savoir à partir de quand peut-on considérer qu’une nuisance est constitutive d’un trouble ?

Afin d’apprécier le trouble il convient de se placer du point de vue de la victime. Le trouble est, en effet, ce qui est ressenti par elle et non ce qui est produit.

Il en résulte que, ni l’intention de nuire, ni la faute constituent des conditions déterminantes pour caractériser un trouble. Peu importe donc que l’activité de l’auteur du trouble soit licite ou illicite (V. en ce sens Cass. 2e civ., 17 févr. 1993).

 Seule compte la gêne, la nuisance occasionnée à la victime qui est affectée dans la jouissance de son bien. Ainsi, la notion d’« anormalité » est une notion relative qui ne peut pas s’apprécier intrinsèquement mais in concreto.

Vous trouverez ci-après les critères les plus couramment retenus par les Tribunaux aux fins de caractériser un trouble de voisinage causé par un locataire.

Cas n°1 : Locataire auteur de troubles de violence  

Les juges retiennent de manière constante que le comportement agressif, injurieux et violent d’un locataire, de par son importance et permanence, pour caractériser un trouble anormal justifiant la résiliation judiciaire de son bail à ses torts exclusifs et son expulsion, en se basant notamment (CA Paris 13 septembre 2018 2018 n°16/10482 et20 septembre 2018 n°16/13578).

Cas n°2 : Locataire auteur de troubles de nuisances sonores

Lorsque les nuisances sonores sont occasionnées par le comportement d’un locataire, que ce soit de jour comme de nuit, celles-ci peuvent être constitutives d’un trouble anormal de voisinage dès lors qu’elles peuvent sérieusement perturber une copropriété dans son ensemble.

Pour apprécier si ces bruits portent atteinte à la tranquillité du voisinage, les Tribunaux prennent en compte leur durée, leur fréquence et leur intensité (Code de la santé publique, art. R. 1334-31). 

Ainsi, la jurisprudence prononce de manière constante la résiliation judiciaire d’un bail aux torts exclusifs du locataire :

  • dès lors que le bruit est répétitif, intensif ou qu’il dure dans le temps ;
  • du fait de troubles de voisinage correspondant à des nuisances sonores, cris et incivilités (CA Paris, 3 mars 2016, n°13/08361) ;
  • en raison de ses nuisances sonores excessives, diurnes et nocturnes (CA de Pau, 29 juin 2020 n°19/01244).

A contrario, par un arrêt rendu le 15 mai 2013 n°12/00361, la Cour d’appel de Besançon a retenu « qu’en l’absence de toute mesure acoustique et même de tout constat ou attestation, il n’est pas établi que les troubles sonores invoqués soient anormaux». En l’espèce, les attestations n’étaient pas suffisantes pour établir la véracité d’un tel trouble en raison de leur contradiction et imprécision.

Cas n°3 : Locataire auteur de troubles de nuisances olfactives

Par son arrêt rendu le 21 novembre 1995 n°18-18.826, la Cour de cassation a défini les nuisances olfactives comme des odeurs nauséabondes dont la preuve peut être apportée par tout moyen.

 Par un arrêt rendu en date du 4 mars 2020 n° 19/00755, la Cour d’appel de Limoges, a résilié le bail d’habitation aux torts exclusifs d’un locataire aux motifs que la forte odeur d’urine de ses chats cause inévitablement des problèmes d’hygiène, lesquels caractérisent des manquements graves et persistants aux obligations du locataire.

 A contrario, par un arrêt rendu le 8 octobre 2003 n°99-20.511, la Cour de cassation a refusé de reconnaître l’existence de tels troubles alors même qu’il ressortait d’un constat d’huissier que le locataire causait des odeurs fortes de cuisine par son activité de sandwicherie. Malgré la pétition versée par les copropriétaires aux fins de voir cesser les nuisances olfactives qui continuaient à persister, la Cour a considéré que le caractère anormal des nuisances n’était pas établi.

Ainsi, les désagréments mineurs qui sont inhérents aux rapports de voisinage ne sont pas sanctionnés, de la même manière que si le trouble n’est que ponctuel, il ne saurait présenter un caractère anormal.

Seul le trouble de voisinage d’une gravité suffisante est susceptible d’engager la responsabilité de son auteur et seul l’excès, par sa persistance, intensité et récurrence, ouvre droit à réparation, comme il sera exposé ci-après.

2. Comment expulser mon locataire auteur de troubles anormaux de voisinage ?

Lorsquele bailleur est informé des troubles commis par son locataire, il est dans l’obligation d’intervenir pour faire cesser ces nuisances.

En cas d’échec d’une démarche amiable, le bailleur est tenu d’assigner en justice son locataire par devant le Juge des contentieux de la Protection aux fins de voir prononcer la résiliation judiciaire du bail à ses torts exclusifs et ordonner son expulsion, en application des articles 1728 et 1224 du Code civil.

 Pour le succès d’une telle action judiciaire, le propriétaire bailleur devra rapporter la preuve de l’anormalité du trouble, laquelle est caractérisée lorsque deux conditions cumulatives sont réunies :

  • le trouble présente un certain degré de gravité
  • le trouble est persistant et récurrent

 Le juge apprécie cette « anormalité » en tenant compte des circonstances de temps (nuit et jour) et de lieu (milieu rural ou citadin, zone résidentielle ou industrielle), mais également en prenant en considération l’intensité et la durée du trouble.

 La Cour d’appel de Bordeaux rappelle, par un arrêt rendu en date du 4 juin 1992 n° 1992-042869, que le droit à la tranquillité ne saurait être réservé uniquement aux habitants des quartiers calmes et résidentiels et que les actions des voisins d’un locataire nuisible devront être recevables quand bien même ces troubles se dérouleraient dans un quartier bruyant.

 Pour que son action soit réussie, le bailleur devra donc rapporter la preuve du caractère continu, permanent et répétitif de celui-ci.

 C’est ainsi que par un arrêt rendu en date du 3 février 2015 n°13/02489, la Cour d’appel de Metza rejeté la demande de résiliation et d’expulsion du bailleur, faute de ne pas avoir su démontrer le caractère persistant des troubles causés et l’absence de retour à la normale au sein du voisinage.

3. A quelles sanctions s’expose le Bailleur passif face aux troubles anormaux de voisinage commis par son locataire ?

Si le bailleur reste inactif à l’égard des agissements de son locataire, il pourrait se voir attraire en justice par tout occupant de l’immeuble (copropriétaire ou locataire) et/ou le syndicat des copropriétaires pour en demander réparation, alors même qu’il ne serait pas à l’origine du trouble.

Il est précisé que le bailleur ne peut pas se réfugier derrière l’envoie de simples mises en demeure à l’auteur du trouble, dès lors que la Cour de cassation a rappelé que de telles démarches sont insuffisantes pour l’exonérer de sa responsabilité (Cass. 3èmeciv. 17 avril 1996 n°94-15.876).

Dans un arrêt du 31 mai 2000 n°98-17532, la Cour de cassation précise que le seul fait de mentionner dans le bail que le bailleur sollicitait la suppression des micros et musique était un motif insuffisant pour démontrer qu’il avait mis en demeure son locataire de respecter la réglementation sur le bruit dès lors qu’il ne justifiait pas de vérifications particulières pour s’assurer que son locataire respectait les obligations souscrites.

 En cas de trouble causé par son locataire, le bailleur doit donc, non seulement le mettre en demeure de cesser les troubles dont il est à l’origine, mais également de s’assurer de leur cessation définitive par tous moyens. Le cas échéant, il devra le menacer de résilier son bail en intentant une action judiciaire, aux fins de ne pas risquer de voir sa responsabilité engagée.

4. Quels sont les recours des occupants victimes de troubles anormaux de voisinage en cas d’inertie du bailleur ?

Si le bailleur ne parvient pas à faire cesser le trouble de son locataire ou s’il reste inactif, tout occupant victime des troubles commis par son locataire pourra en demander réparation au bailleur, alors même qu’il n’a commis aucune faute.

La Cour de cassation, par un arrêt rendu en date du 17 avril 1996 n°94-15.876, rappelle que « la victime d’un trouble de voisinage trouvant son origine dans l’immeuble donné en location, peut en demander réparation au propriétaire du locataire qui est à l’origine des troubles anormaux de voisinage».

Il s’agit d’un cas spécifique de responsabilité de plein droit, qui présente l’avantage de faciliter l’exercice du droit à réparation des victimes, dès lors qu’ils n’ont pas à rapporter de faute commise par le bailleur mais seulement la preuve du dommage anormal subi (Cass. Civ. 3ème30 juin 1998 n°96-13039).

La cour de cassation rappelle aux termes de son arrêt du 31 mai 2000, n°98-17532 que l’existence de troubles anormaux du voisinage émanant de l’immeuble donné en location par le propriétaire justifiait que, indépendamment de toute faute de la part du bailleur, le propriétaire était tenu d’en réparer les conséquences dommageables subies par un tiers.

S’agissant du copropriétaire victime, c’est sur le fondement de l’article 9 de la loi du 10 juillet 1965 et de l’article 15 de la loi du 10 juillet 1965 n°65-557 que tout copropriétaire qui se retrouve lésé dans son droit de propriété ou de jouissance de son lot en raison des comportements nuisibles d’un locataire peut exercer personnellement une action en responsabilité contre le copropriétaire bailleur, sur le fondement de l’article.

A titre illustratif, par un arrêt récemment rendu du 29 octobre 2020 n°19/04215, la Cour d’appel de Montpellier a condamné la propriétaire bailleresse à payer respectivement aux trois copropriétaires la somme de 2.000€, au titre de leur préjudice de jouissance résultant des nuisances sonores commises par son locataire.

Cette action est également offerte à tout locataire qui souhaite agir contre le bailleur du locataire, auteur de troubles, comme le rappelle la cour de cassation aux termes de son arrêt du 17 mars 2005 n°04-11279.

Attention, si le bailleur est dans l’obligation de faire jouir paisiblement son locataire de la chose louée, le locataire, victime de troubles, ne peut agir à l’encontre de son propre propriétaire bailleur s’ils sont le fait d’un tiers, en application de l’article 1725 du Code civil.

 Toutefois, il convient de préciser que si le bailleur parvient à démontrer qu’il a mis en œuvre tous les moyens pour tenter de faire cesser les manquements de son locataire, alors il dispose d’un recours contre celui-ci pour obtenir réparation.

En effet, la Cour de cassation, par un arrêt rendu en date du 8 juillet 1987 n°85.15-193, a rappelé que « lorsque le trouble de voisinage émane d’un immeuble donné en location, la victime de ce trouble peut en demander réparation au propriétaire, qui dispose d’un recours contre son locataire lorsque les nuisances résultent d’un abus de jouissance ou d’un manquement aux obligations nées du bail».

5. Quel est le recours du Syndicat des copropriétaires pour troubles anormaux de voisinage d’un locataire ?

En cas d’inertie du bailleur, le Syndicat des copropriétaires représenté par son syndic peut assigner en même temps celui-ci et son locataire aux fins d’obtenir la résiliation du bail et l’expulsion de ce dernier, mais également leur condamnation solidaire au paiement de dommages et intérêts.

Il s’agit d’une action oblique initiée par le syndic, sur le fondement de l’article 1341-1 du Code civil.

Pour ce faire, une résolution devra être préalablement adoptée à la majorité de l’article 24 en assemblée générale des copropriétaires en application de l’article 55 du décret n°67-223 du 17 mars 1967.

Toutefois, en présence d’une situation d’urgence et par la démonstration d’un trouble manifestement illicite, le Syndicat des copropriétaires peut assigner à jour fixe, sur requête présentée au Président du tribunal judiciaire, permettant une date d’audience à bref délai. Cette voie qui reste exceptionnelle s’effectue sans autorisation de l’assemblée générale.

Pour exercer une action oblique, 3 conditions cumulatives sont nécessaires, à savoir que :

  • le locataire a enfreint au règlement de copropriété et au bail d’habitation
  • il existe une carence du copropriétaire bailleur
  • le locataire cause un préjudice aux autres copropriétaires ou occupants de l’immeuble

Par un arrêt du 22 juin 2005 n°04-12540, la Cour de cassation a ainsi retenu qu’en cas de carence du bailleur, l’action oblique du syndicat des copropriétaires dirigée contre le preneur est recevable. C’est ainsi qu’elle a confirmé la résiliation du bail à ses torts exclusifs dès lors qu’il a violé ses obligations contractuelles et les stipulations du règlement de copropriété et que son comportement a causé un préjudice aux autres copropriétaires par ses nuisances.

Par un arrêt rendu le 9 avril 2015 n° 14/02439, la Cour d’appel de Nancy a jugé qu’en cas de carence du bailleur, le Syndicat des copropriétaires est recevable à agir à l’encontre du bailleur et de son locataire par la voie oblique aux fins de voir prononcer la résiliation judiciaire du bail et son expulsion, mais également la réparation de son préjudice pour trouble de jouissance subi par la collectivité des copropriétaires. En conséquence, la Cour a ordonné l’expulsion du locataire et a condamné in solidumla propriétaire et son locataire au paiement d’une somme de 2000 euros à titre de dommages intérêts.

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6. Le locataire peut échapper à l’expulsion s’il a mis fin au trouble anormal de voisinage ?

Si le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation. Toutefois, la jurisprudence est constante pour prononcer la résiliation du bail et ordonner l’expulsion des locataires, lorsque le trouble est avéré et a persisté, et ce quand bien même ceux-ci avaient régularisé leur situation une fois qu’ils ont été assignés.

A titre illustratif, on rappellera un arrêt rendu le 10 octobre 2017 n°16/03224, aux termes duquel la Cour d’appel d’Angers a confirmé la résiliation aux motifs que « le fait que les preneurs adoptent désormais une attitude semble-t-il plus respectueuse ne retire rien à la gravité des incidents susvisés » dès lors qu’ils ont troublé la tranquillité du voisinage pendant plus de deux années.

Également, la Cour d’appel de Limoges, par son arrêt rendu le 4 mars 2020 n°19/00755, a considéré que la bonne foi de la locataire qui a réalisé des travaux pour faire cesser les nuisances olfactives n’ont pas suffi à disparaitre les problèmes d’hygiène au sein de l’immeuble, lesquels constituent des manquements graves et persistants justifiant la résiliation du bail aux torts exclusifs de la locataire.

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A ce titre, mon cabinet se tient naturellement à votre disposition pour vous assister tout au long de la procédure d’expulsion de votre locataire qui nuit à la tranquillité de votre copropriété.

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