Depuis la loi n°2024-1039 du 19 novembre 2024, dite “loi Le Meur”, les copropriétaires peuvent, sous conditions strictes, interdire la location saisonnière dans les logements à usage d’habitation ne constituant pas la résidence principale de l’occupant. Cette interdiction peut être insérée dans les règlements de copropriété existants, par décision prise à la majorité des deux tiers.
Cette évolution législative, loin d’être anodine, a déclenché un vif débat.
Jusqu’alors, la jurisprudence reconnaissait fréquemment la compatibilité d’une location saisonnière, même exercée depuis une résidence secondaire, avec la clause d’habitation bourgeoise, dès lors que l’activité était de nature civile.
Or, la distinction entre activité civile et activité commerciale, déterminante en matière de copropriété, demeure complexe. Les décisions de justice sont nombreuses, souvent contradictoires, et reflètent une jurisprudence instable.
Toutefois, depuis 2023, un infléchissement notable s’est dessiné : plusieurs grandes villes, y compris Paris, ont commencé à reconnaître le caractère civil d’activités de location saisonnière, dès lors qu’elles ne s’accompagnent pas de prestations para-hôtelières.
Dans cet article, nous examinerons d’abord les incertitudes de la distinction entre activité civile et commerciale (I), avant de retracer les évolutions jurisprudentielles les plus récentes (II).
Nous analyserons ensuite les apports de la loi Le Meur et leurs limites pratiques (III), avant de proposer conseils pratiques pour contester des résolutions tendant à interdire la location saisonnière (IV).
I. Le caractère civil ou commercial de la location saisonnière : un critère déterminant en copropriété
1.1 La destination de l’immeuble, l’affectation d’un lot de copropriété et ses conditions de jouissance
L’article 8 de la loi du 10 juillet 1965 dispose que le règlement de copropriété fixe la destination des parties privatives et communes, et détermine les conditions de leur jouissance. Aucune restriction ne peut être imposée aux copropriétaires sauf si elle est justifiée par la destination de l’immeuble.
L’article 9 de cette même loi consacre en parallèle le principe de libre usage des parties privatives, sous réserve du respect des droits des autres copropriétaires et de la destination de l’immeuble.
Avant la loi Le Meur, la modification d’une clause portant atteinte à l’affectation d’un lot de copropriété ou à ses modalités de jouissance des lots n’était possible qu’à l’unanimité, conformément à l’article 26, al. 4 de la loi du 10 juillet 1965.
L’inobservation des conditions de majorité est sanctionnée par la nullité des décisions au visa de l’article 42 de la loi du 10 juillet 1965.
Ainsi, dans les litiges relatifs à la licéité d’une location saisonnière en copropriété, le juge appréciait la conformité de cette activité au regard de la destination de l’immeuble (bourgeoise simple ou exclusive, mixte), de l’existence ou non de clauses restrictives dans le règlement, et du caractère civil ou commercial de l’activité.
1.2 location saisonnière et clause d’habitation bourgeoise : une jurisprudence instable
Initialement, la jurisprudence admettait que la location meublée saisonnière était compatible avec la clause d’habitation bourgeoise simple dès lors que les professions libérales y étaient autorisées, en raison que la rotation de clientèle induite par ces deux types d’activités générait des nuisances comparables, et ne portait donc pas atteinte à la destination de l’immeuble.
Un tournant décisif a toutefois été amorcé par deux arrêts de la Cour de cassation, rendus les 8 mars 2018 (n°14/15864) et 27 février 2020 (n°18/14305).
Dans ces affaires, la Haute juridiction a reconnu le caractère commercial de la location meublée saisonnière, la rendant ainsi incompatible avec la destination d’un immeuble combinant habitation et activité professionnelle.
Il est important de noter que, dans les deux cas, l’activité de location était assortie de prestations para-hôtelières s’apparentant à une activité hôtelière. Dès lors, la qualification commerciale ne faisait guère débat.
Depuis lors, les juridictions des grandes villes ont adopté une interprétation restrictive, interdisant la location saisonnière dans les immeubles à clause bourgeoise, même sans prestations para-hôtelières (ex : CA Lyon,16 novembre 2022 n° 22/00478).
Toutefois, les juridictions balnéaires et de montagne se montrent plus souples : elles recherchent la présence ou l’absence de prestations parmi les quatre définies par l’article 261 D du Code général des Impôts, à savoir :
- Le petit déjeuner ;
- Le nettoyage régulier des locaux ;
- La fourniture de linge de maison ;
- La réception, même non personnalisée, de la clientèle.
Pour mémoire, une clause d’habitation bourgeoise simple signifie que les logements peuvent être occupés en tant que logements et que les professions libérales y sont tolérées. Toutefois toute activité commerciale y est interdite.
Une clause bourgeoise exclusive signifie que l’immeuble est composé de logements et que toute activité commerciale, professionnelle ou encore de bureaux sont interdits.
A titre illustratif,
La Cour d’appel de Pau, par un arrêt du 20 mai 2020, n° 18/00052, a retenu la nature civile de l’activité en s’appuyant sur plusieurs éléments cumulatifs :
- L’activité n’était accompagnée d’aucune prestation para-hôtelière ou seulement de prestations mineures ;
- Le logement n’était pas exploité via une société commerciale ni par un commerçant individuel ;
- Le simple fait que les revenus locatifs soient fiscalement qualifiés de BIC ne suffit pas, à lui seul, à caractériser la nature commerciale de l’activité.
Ainsi, la Cour écarte toute incompatibilité entre l’activité exercée et la clause d’habitation bourgeoise du règlement de copropriété, en concluant que la location meublée litigieuse n’avait pas le caractère d’une activité commerciale prohibée.
De manière plus surprenante, la Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 9 novembre 2022 n°18/27539 a rendu une décision similaire, en prenant en compte :
- le faible nombre de commentaires (seulement 7 commentaires constatés entre 2014 et 2016) ;
- L’absence de clause d’habitation exclusivement bourgeoise dans le règlement, qui autorise les professions libérales ;
- L’absence de preuve que les occupants du studio seraient des personnes « de mauvaise vie et mœurs ».
Cette divergence crée une instabilité juridique, source de contentieux.
2. 2024 – 2025 : Vers une résistance judiciaire à l’interdiction systématique de la location saisonnière ?
2.1 Les prestations para-hôtelières : un critère décisif pour qualifier la location saisonnière ?
Par un arrêt remarqué du 25 janvier 2024 n°22-21.455, la Cour de cassation a posé un principe clair : lorsqu’une activité de location saisonnière n’est assortie d’aucune prestation de services accessoires, ou uniquement de prestations mineures, elle revête un caractère civil.
En conséquence, une telle activité peut être exercée dans un immeuble, même si le règlement de copropriété proscrit les activités commerciales.
Cependant, cette décision, non publiée, portait sur un immeuble situé en station de ski, ce qui a conduit certains à en relativiser la portée.
Surtout, cette clarification de la Haute juridiction a été immédiatement suivie d’un mouvement contraire.
2.2 La réponse contrastée des juridictions parisiennes
Par quatre décisions rendues les 23 février 2024 (n°21/11598), 29 février 2024 (n°21/03182 et n°22/0232) et 4 avril 2024 (n°22/02674), le tribunal judiciaire de Paris a estimé que la location saisonnière était incompatible avec la destination d’un immeuble à usage mixte professionnel-habitation.
Dans un communiqué du 18 avril 2024, le tribunal a précisé s’être appuyé sur la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation (notamment l’arrêt du 8 mars 2018), excluant délibérément toute référence à celui du 25 janvier 2024 ; refusant ainsi de fonder son raisonnement sur le critère des prestations para-hôtelières.
Pourtant, une inflexion se dessine.
Par ordonnance du 20 mai 2025 (n°24/58468), le même tribunal judiciaire de Paris, saisi en référé, a débouté un syndicat de copropriétaires qui demandait l’interdiction de la location de courte durée. Le juge a estimé qu’il n’était pas « manifeste » que cette activité contrevenait au règlement de copropriété, faute de preuve de son caractère commercial.
2.3 Juridictions de province : vers une approche plus nuancée
Dans d’autres villes, des juridictions ont adopté une position conforme à celle de la Cour de cassation.
Ainsi, dans une série de cinq décisions rendues le 2 février 2024 (n°23/00164), le tribunal judiciaire de Lisieux a rappelé avec force que la location par l’intermédiaire d’une plateforme numérique ne permettait pas, à elle seule, de qualifier l’activité de commerciale. En l’absence de services para-hôteliers significatifs, l’activité demeurait compatible avec la destination bourgeoise de l’immeuble.
Même logique à Nice : par un jugement du 17 février 2025 (n°24/03353), le tribunal judiciaire a annulé une résolution interdisant les locations de courte durée. Il a considéré qu’elle portait une atteinte au droit de propriété injustifiée, dès lors que :
- le règlement autorisait la location meublée de logements entiers,
- aucune activité para-hôtelière n’était prouvée,
- et qu’une telle interdiction supposait une modification du règlement adoptée à l’unanimité.
Dans une autre décision, en date du 23 août 2024 (n°22/03533), ce même tribunal a de nouveau refusé d’interdire les locations saisonnières en s’appuyant sur le constat que le règlement de copropriété ne prévoyait pas l’interdiction de location meublée, à l’exception d’une clause morale imposant que les occupants soient « de bonne vie et mœurs ».
3. Loi Le Meur et copropriété : un nouveau levier pour l’interdiction de la location saisonnière ?
La loi Le Meur (n°2024-1039 du 19 novembre 2024), a notamment modifié loi du 10 juillet 1965 sur la copropriété.
Nous nous intéresserons ici aux deux apports majeurs de cette loi concernant la location saisonnière en copropriété, tels que prévus par les nouveaux articles 8-1-1 (pour les règlements nouveaux) et 26 d) (pour les règlements existants).
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Règlements de copropriété nouveaux : une obligation de se prononcer sur la location touristique
Le nouvel article 8-1-1 de la loi du 10 juillet 1965 impose pour les règlements de copropriété établis à compter du 20 novembre 2024, une mention expresse sur « l’autorisation ou l’interdiction de location de meublés de tourisme, au sens du I de l’article L324-1-1 du Code de tourisme ».
Cette exigence vise à limiter les contentieux futurs, mais demeure sans réelle force contraignante : aucune sanction n’est prévue en cas d’omission, et la responsabilité du syndic ne semble pas mentionnée.
Il apparaît raisonnable de penser qu’une telle décision ne saurait résulter d’une simple adaptation d’un règlement de copropriété existant au regard de la loi ELAN, votée à l’article 24 f de la loi du 10 juillet 1965, compte tenu de l’insécurité juridique que cela pourrait représenter.
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Règlements existants : les limites de l’interdiction de la location touristique de l’article 26
L’article 26 d) de la loi du 10 juillet 1965, créé par la loi Le Meur, permet désormais aux copropriétaires de modifier leur règlement pour interdire la location de courte durée, à la majorité des deux tiers, à condition que trois exigences soient simultanément remplies :
- les lots concernés ne constituent pas la résidence principale de l’occupant ;
- les lots concernés sont affectés à un usage d’habitation
- le règlement interdit déjà toute activité commerciale dans les lots non spécifiquement à destination commerciale.
Autrement dit, l’interdiction ne concerne ni les résidences principales, ni les locaux commerciaux ou bureaux, ni les copropriétés dans lesquelles l’activité commerciale est autorisée dans les logements.
Seules les copropriétés dont le règlement interdit toute activité commerciale dans les lots qui ne sont pas spécifiquement à destination commerciale, sont éligibles.
Ainsi, l’immeuble doit donc comporter une clause d’habitation bourgeoise, interdisant les activités commerciales dans les lots à usage d’habitation.
Par une lecture littérale de cet article, certains auteurs considèrent que cette nouvelle règle permettrait au syndicat des copropriétaires d’interdire par principe toute location touristique dans les lots d’habitation, indépendamment de la nature commerciale ou civile de l’activité, sans devoir se prononcer sur sa conformité ou non à la destination de l’immeuble dans son ensemble.
Une telle lecture, à mon sens excessive, pourrait constituer une atteinte disproportionnée au droit de la propriété, si elle n’est pas considérée comme une activité commerciale.
Ce débat fait écho à la décision du Conseil constitutionnel du 20 mars 2014, qui avait censuré des dispositions analogues permettant l’interdiction de la location touristique par simple vote majoritaire, les jugeant contraires à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
De plus, la loi parle des “lots à usage d’habitation”. Or, la notion d’usage relève du Code de la construction et de l’habitation, et non du droit de la copropriété. Il est donc envisageable qu’un copropriétaire, en obtenant un changement d’usage pour son lot vers un usage autre que l’habitation, sorte du champ d’application de l’interdiction.
Toutefois, la prudence doit être de mise dès lors que s’il est exact qu’en droit de la copropriété, il est fait référence à l’ « affectation d’un lot», le terme « usage » tend aujourd’hui à s’imposer dans la pratique au point d’être couramment employé comme équivalent.
Ces incertitudes sémantiques et juridiques augurent une vague contentieuse à venir, et pourraient ouvrir la voie à une question prioritaire de constitutionnalité à l’initiative d’un copropriétaire.
4. L’INTERDICTION DE LOCATION SAISONNIERE DE L’ARTICLE 26D) UNE PORTEE RELATIVE ?
Un arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence rendu le 20 mars 2025 (n°24/10669) semble apporter des éclaircissements entre l’analyse du caractère civil ou commerciale du meublé de tourisme et l’application de l’article 26d) de la loi Le MEUR.
Dans cette affaire, la Cour a infirmé une ordonnance de référé, en retenant le caractère civil de l’activité de location saisonnière au motif qu’elle n’était accompagnée que de deux prestations, ne revêtant pas le caractère de services para-hôteliers significatifs ni de prestations complémentaires (fourniture de petit-déjeuner et dépôt de bagages en présentiel optionnels).
Ainsi par cet arrêt, la cour affirme qu’il est possible de déterminer le caractère d’une telle activité avec l’évidence requise en référé ; ce qui ne se faisait pas jusqu’alors.
Plus intéressant encore, elle précise expressément les conditions d’application de l’article 26 d).
A ce titre, elle retient que la modification du règlement de copropriété, relative à l’interdiction de location de meublés de tourisme, prévue par le nouvel article 26 d) n’est permise qu’en présence d’une clause d’habitation bourgeoise interdisant les activités commerciales en dehors des lots dédiés.
Autrement dit, par cet arrêt, la cour semble donc indiquer que la destination bourgeoise ne suffit pas à interdire la location touristique des logements à la majorité des deux tiers, mais que l’unanimité continue d’être requise dès lors qu’elle revête un caractère civil.
Cette analyse est donc parfaitement conforme avec la jurisprudence rendue jusqu’à présent..
Toutefois, cette analyse doit être prise avec prudence puisque depuis la promulgation de la loi le MEUR, puisque c’est l’une des rares décisions rendues à ce jour et qu’elle n’évoque qu’en substance la loi LE MEUR.
5. COMMENT CONTESTER UNE RESOLUTION QUI M’INTERDIT LA LOCATION SAISONNIERE ?
Lorsqu’une résolution tendant à interdire la location saisonnière est inscrite à l’ordre du jour sur le fondement de l’article 26 d), il est indispensable de solliciter un avocat en amont de l’assemblée. Ce dernier pourra adresser un courrier préventif au syndic aux fins de l’informer de l’illégalité d’une telle résolution. Naturellement ce courrier sera porté à la connaissance des copropriétaires, en amont de la tenue de l’AG, afin qu’ils puissent voter de manière éclairée.
En effet, il a été démontré ci-avant que tous les règlements de copropriété ne sont pas éligibles à l’article 26 d) et continuent à requérir l’unanimité.
Si la résolution est adoptée, un recours en annulation peut être introduit dans un délai de deux mois à compter de la notification du procès-verbal d’AG, faute de ne pas avoir été adoptée à l’unanimité.
Toutefois, vous devez être en mesure de rapporter la preuve, dans le cas d’un immeuble bourgeois, que :
- que son activité n’est pas assortie de prestations para-hôtelières significatives ;
- que le règlement de copropriété autorise la location meublée de logements entiers.
S’il s’agit d’un immeuble mixte, le simple fait que les appartements puissent abriter une activité commerciale, fait échec à son vote.
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Cette liste est non exhaustive et chaque dossier doit faire l’objet d’une analyse précise de votre règlement de copropriété mais également de la nature effective de votre activité pour évaluer vos chances de succès.
Mon cabinet, défenseur des propriétaires, pourra vous assister dans ces démarches afin de faire respecter vos droits.