Dernière mise à jour le 29/11/2020

Airbnb & CJUE : quel avenir pour les propriétaires assignés par la Ville de Paris ?

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Si la ville de Paris crie victoire contre les propriétaires assignés au titre de leur activité airbnb suite à l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 22 septembre 2020, il n’en reste pas moins que la bataille n’est pas encore gagnée dès lors que la Cour de Cassation doit répondre à de nombreux points avant de se prononcer sur le bien-fondé du mécanisme de compensation parisien.

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La ville de Paris a déclaré avoir remporté la bataille contre les propriétaires au motif que la Cour Européenne a validé la législation française encadrant la location de résidences secondaires sur les plateformes de type airbnb.

Dans son arrêt du 22 septembre 2020, ladite Cour a retenu qu’« Une réglementation nationale soumettant à autorisation la location de manière répétée d’un local destiné à l’habitation pour de courtes durées à une clientèle de passage (…) est conforme au droit de l’Union» dès lors qu’elle est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location.

Toutefois, celle-ci invite toutes les juridictions nationales à examiner plus en détails la conformité des modèles de compensation mis en place par leurs communes au regard de la réglementation européenne, en prenant en compte notamment les spécificités du marché locatif local inhérentes à chaque ville concernée par ce dispositif. Saisie pour le dispositif parisien, la Cour de cassation devra se prononcer sur son bien-fondé au regard du droit européen en appréciant chaque critère que la Cour européenne a relevé.

Après avoir rappelé succinctement le contexte de la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne, je vous présenterai une analyse éclairée des conditions fixées par cette décision dont il appartiendra à la Cour de Cassation d’assurer le contrôle de conformité au regard du mécanisme de compensation instauré par la Ville de Paris, et dont dépendent le sort de plusieurs centaines de propriétaires assignés.

I. Rappel du litige porté devant la Cour de justice de l’Union européenne

A titre liminaire, à Paris et dans l’ensemble des trois départements de la couronne parisienne (Hauts-de-Seine, Seine- Saint- Denis et Val-de-Marne), ainsi que dans les villes de plus de 200.000 habitants, un local à usage d’habitation destiné à la location saisonnière doit respecter la procédure de changement d’usage avec compensation, laquelle est subordonnée à l’autorisation du Maire du lieu de situation du bien, dès lors qu’il ne constitue pas la résidence principale du loueur.

En l’espèce, il s’agissait de deux sociétés distinctes qui offraient à la location un de leurs studios situés à Paris sur la plateforme Airbnb pour des courtes durées sans avoir respecté préalablement la procédure de changement d’usage soumise à autorisation du Maire. C’est dans ces conditions qu’elles ont été assignées par la Ville de Paris et ont été condamnées au paiement de la somme de 40.000€.

Après avoir été déboutées en appel de leurs demandes, les requérantes ont formé un pourvoi en cassation devant la cour de cassation au motif que la Cour d’Appel aurait violé le principe de primauté du droit européen.

C’est dans ce contexte que la cour de cassation, par un arrêt du 15 novembre 2018, RG n° 17-26.158, a sursis à statuer et saisi la Cour de justice de l’union européenne afin qu’elle se prononce sur la comptabilité de la réglementation nationale prévue par l’article L 631-7 du CCH à la directive européenne n°2006/13 régissant la libre circulation des services.

Le 2 avril 2020, l’avocat général de la Cour de justice européenne, Michal BOBEK a déposé ses conclusions aux termes desquelles il a reconnu que la réglementation nationale était conforme au droit européen mais qualifiait implicitement le dispositif parisien de discriminatoire en ce qu’il qu’il ne profiterait en réalité qu’aux investisseurs immobiliers et aux plus riches et non proportionné dès lors qu’on pourrait certainement arriver à lutter contre la pénurie de logements avec des mécanismes de compensation moins contraignants ou en instaurant des autorisations temporaires.

C’est dans ce contexte que la Cour de Justice a enfin rendu son arrêt tant attendu le 22 septembre 2020.

II. Que dit la Cour de justice de l’Union Européenne au sujet de la règlementation encadrant les locations de type airbnb ?

Si Ian Brossat, l’adjoint au logement à la mairie de Paris s’est déjà exprimé sur la motivation des services de la Ville de Paris pour réintroduire les instances gelées, en estimant que « cela va nous permettre de récupérer les amendes contre les locations saisonnières illicites que nous ne touchions plus depuis plus d’un an» il convient toutefois de relativiser cet enthousiasme dès lors que la bataille parisienne n’est pas encore gagnée …

Bien que, selon la Cour Européenne, la réglementation nationale encadrant la location de courte durée des résidences secondaires soit conforme au droit européen (2.1), il n’en reste pas moins qu’elle souligne la marge de manœuvre considérable dont disposent les Communes pour fixer leur régime de compensation et ce sans justifier d’éléments concrets pour encadrer leur choix politique (2.2).

2.1 La règlenationale d’autorisation de changement d’usage est conforme au droit européen

Selon la Cour, la réglementation nationale de changement d’usage soumise à autorisation prévu par l’article L 631-7 du CCH est conforme au droit européen dès lors que la lutte contre la pénurie de logements et la protection de l’environnement urbain constituent une raison impérieuse d’intérêt général, mais également proportionnée à l’objectif poursuivi en ce que celui-ci ne pourrait être rempli par une mesure moins contraignante. En effet, un système déclaratif assorti de sanctions ne saurait suffire à freiner efficacement et immédiatement la pénurie de logements.

A cet effet, l’article 9£1 de ladite Directive subordonne le bien-fondé d’un régime d’autorisation à la réunion de 3 conditions cumulatives : la justification par une raison impérieuse d’intérêt général (i), l’absence de discrimination à l’égard du prestataire visé (ii) et l’impossibilité que l’objectif puisse être poursuivi par une mesure moins contraignante (iii).

2.2  Une incertitude quant à la conformité de la règlementation locale à la directive européenne

 Si le dispositif national est conforme au droit européen, la Cour conteste toutefois le large pouvoir conféré aux autorités locales, lesquelles ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

Le texte ne précisant pas les modalités de détermination au niveau local des conditions d’octroi des autorisations, la Cour indique qu’il appartiendra aux juridictions nationales de vérifier à la lumière des éléments qui lui seront remis par les Communes si le dispositif de compensation mis en place est ou non bien-fondé et proportionné pour répondre à la pénurie de logements destinés à la location longue durée sur le territoire de la commune concerné.

III.  La conformité du modèle parisien doit être validée par la Cour de Cassation

La cour européenne, par cette décision, invite donc la Cour de cassation à apprécier concrètement si le dispositif de compensation exigé à Paris est bien conforme au droit européen et notamment au regard de plusieurs critères qu’elle a précisés aux termes de son arrêt, à savoir notamment :

Critère n°1 : Le dispositif de compensation doit être proportionné (£81) :

La cour précise qu’il appartient à la Cour de cassation de vérifier si le dispositif parisien répond effectivement à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location de longue durée constatée sur le territoire concerné et s’il n’excède pas ce qui est strictement nécessaire pour remplir cet objectif.

Pour se faire, la Cour précise que la Juridiction nationale se prononcera « àla lumière des éléments mis à sa disposition».

Autrement dit, elle invite indirectement la Ville de Paris à rapporter une étude fine et détaillée « non pas de la commune concernée prise dans son ensemble, mais de chaque quartier ou le cas échéant arrondissement de celle-ci » démontrant l’utilité d’un tel dispositif dans des quartiers où l’offre de logements à des conditions économiques acceptables est mise à mal en raison de la présence accrue de locations saisonnières.

Ainsi, si un tel dispositif pourrait se justifier dans les arrondissements du centre de Paris, on peut raisonnablement estimer qu’il en va différemment pour les autres arrondissements en raison d’une présence plus discrète des touristes.

Critère n°2 : Sur les modalités pratiques nécessaires à l’obligation de compensation dans la localité concernée (£89):

De nouveau, la Cour de cassation est invitée à prendre en compte les modalités pratiques permettant de remplir l’obligation de compensationdans la localité concernée. A cet effet, il convient de déterminer si les mécanismes de compensation remplissent les conditions de « marché raisonnables, transparentes et accessibles »

Or, l’obligation de compensation est critiquable du point de vue de son accessibilité et des conditions de marché raisonnables.

  • Concernant son accessibilité :

A Paris, ce changement d’usage n’est en outre accordé que si le propriétaire compense les mètres carrés perdus pour l’habitation en transformant dans le même arrondissement voire dans le même quartier autant, et parfois le double, de mètres carrés de bureaux ou de locaux commerciaux en habitation.

Les règles de la compensation sont loin d’être claires de par la difficile compréhension de ce mécanisme impliquant très souvent de confier l’exécution de cette mission à des intervenants spécialisés en la matière. Interrogé sur ce point, Ian Brossat, a effectivement avoué qu’il était très compliqué à mettre en place en pratique et que c’est volontaire, dans son interview accordé à BFMTV.

  • Concernant les conditions de marché raisonnables

Par ailleurs, il est incontestable que ce mécanisme paraît plus aisé pour des professionnels de l’immobilier ou des multipropriétaires en ce qu’ils ont l’avantage de posséder à leur actif des surfaces à transformer contrairement à de simples propriétaires profanes. A cela s’ajoute une offre de commercialité quasiment fictive impliquant à son tour une hausse extraordinaire des prix de commercialité ne pouvant qu’inciter les propriétaires à enfreindre la loi.

En effet, les propriétaires sont confrontés à des prix de commercialité variables selon plusieurs facteurs : la typologie du cédant (bailleurs sociaux/ personne physique ou morale), une part d’arbitraire à travers la négociation dépendant elle-même du jeu de l’offre et de la demande auxquels s’ajoute les critères issus du règlement municipal.

D’ailleurs, l’avocat général, Michal BOBEK, n’avait pas dissimulé ses doutes face à la proportionnalité de ce mécanisme à l’égard des propriétaires non-professionnels.

  • Concernant la transparence

Également, la Cour de cassation devra veiller à ce que la ville de Paris démontre que les règles de compensation qu’elle a déterminées sur son site internet sont dépourvues de toute ambigüité, manque de clarté et de subjectivité de manière à ce que la compréhension de la notion évince le moindre doute quant à son champ d’application des conditions et des obligations qu’elle a arrêtées.

Ce point est d’autant plus essentiel en raison que la clarté de la notion visée se pose dans le cadre d’une procédure à laquelle devrait s’appliquer le principe général du droit de l’union de légalité des délits et des peines.

Compte tenu de ce qui a été dit précédemment, la démonstration de la clarté de la notion par la Ville de Paris risquera d’être très difficile à rapporter en pratique…

Critère n° 3 : Sur la clarté et l’objectivité suffisantes de l’article L631-7-1 duCCH (£110):

La Cour de justice s’interroge sur la suffisance de la clarté et de l’objectivité de l’article L631-7-1 du CCH en ce qu’il prévoit que les conditions dans lesquelles sont délivrées les autorisations et fixées les compensations par quartier et, le cas échéant par arrondissement, sont déterminées au regard des objectifs de mixité sociale, en fonction notamment des caractéristiques des marchés locaux d’habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logement.

A cet égard, si la juridiction européenne estime que les conditions de clarté et d’objectivité sont remplies elle invite tout de même la Cour de cassation à se faire sa propre interprétation quant à la conformité de la réglementation parisienne, eu égard aux critères européens.

A ce titre, il convient de préciser qu’à l’avenir, la Cour de cassation ne s’appuiera certainement plus sur les mêmes critères lorsqu’il s’agira d’examiner scrupuleusement le modèle de compensation parisien au sein des différents quartiers et arrondissements.

A cet effet, on peut croire que la Cour tolérera plus facilement les locations saisonnières dans des arrondissements tels que le 19e ou 20e, où le marché local d’habitation n’est pas tant affecté contrairement aux quartiers touristiques au sein desquels il est devenu quasiment impossible de conclure un bail classique en raison de la hausse considérable du loyer, notamment à Saint germain ou aux Champs-Élysées.

Critère n°4 : Sur les conditions d’octroi des autorisations reposant sur des critères de clarté, non ambiguïté, objectivité, de transparence et d’accessibilité (£77):

La Cour rappelle, en outre, que le régime d’autorisation national s’appuie sur des critères de clarté, d’absence d’ambiguïté, d’objectivité, de transparence et d’accessibilité encadrant le pouvoir d’interprétation des autorités compétentes et ce dans le but d’éviter tout arbitraire.

A ce titre, la Cour de cassation est de nouveau invitée à apprécier les faits afin de déterminer si la législation est conforme aux exigences européennes.

IV. Quel avenir pour les propriétaires assignés par la Ville de Paris ?

Si depuis le sursis à statuer prononcé par la Cour de Cassation en 2018, la Ville de Paris a continué ses opérations de contrôle en assignant les propriétaires, il n’en reste pas moins qu’à ce jour environ 350 affaires sont gelées par devant le Tribunal judiciaire et la Cour d’Appel de Paris, lesquels ont automatiquement sursis à statuer dans l’attente de la décision de la Cour de Justice pour une bonne administration de la justice et pour des raisons d’équité entre les justiciables.

Si par extraordinaire les avocats de la Ville de Paris n’attendaient pas que l’arrêt de la cour de cassation soit rendu en la matière, il s’en suivrait probablement un engorgement de la juridiction d’appel initié par des propriétaires insatisfaits.

De ce fait, il est vivement conseillé aux tribunaux de ne pas se prononcer dans l’immédiat pour des raisons d’équité et de bonne administration de la justice.

Les réserves émises par la CJUE sur les 4 points cités précédemment s’avèrent au contraire bien dangereuses pour la Ville de Paris à laquelle il incombe de rapporter la preuve au cas par cas, à l’échelle de l’arrondissement et même du quartier, de l’existence d’une pénurie du logement et d’une présence accrue de touristes pour justifier de la légitimité d’une compensation, ce qui est loin d’être aisé…

Or, cette difficulté probatoire incombant à la Ville de Paris n’est-elle pas synonyme d’espoir pour les propriétaires fraudeurs en ce qu’ils pourraient dès lors aisément échapper à l’obligation de compensation ?

En effet, il convient de souligner qu’au terme de ses conclusions, la Cour de justice a jugé très général notre droit quant au régime de la compensation. La Cour met en avant la marge manœuvre dont disposent les municipalités pour fixer les conditions de la compensation. Pour ce faire, celle-ci propose de procéder à une vérification dans chaque arrondissement et quartier parisien, laquelle suppose de disposer de fines données sur chaque marché local, afin de vérifier si la compensation est exigée et justifiée.

De surcroît, ne peut-on pas redouter une forme d’insécurité juridique en présence d’une éventuelle absence de jurisprudence constante selon les juridictions ?

A noter que la Ville de Paris aura désormais une charge probatoire conséquente afin de justifier des mécanismes de la compensation au droit de l’Union européenne. Enfin, eu égard à la complexité du dispositif parisien, il est possible d’espérer une refonte du modèle de compensation par la prise en en compte des caractéristiques du marché local d’habitation selon le quartier et l’arrondissement.

L’arrêt de la Cour de cassation est attendu pour la mi janvier en principe. Affaire à suivre.

Retrouvez l’interview de Me DERHY Lorène sur BFM TV

Maître DERHY a été l’invitée dans l’émission Le Live Toussaint pour discuter sur l’avenir d’Airbnb suite à la décision de la Cour Européenne pour les propriétaires assignés par la Ville de Paris

BFMTV airbnb DERHY

Retrouvez les interventions de Me DERHY Lorène dans la presse à ce sujet.

Expert pour le Figaro Immobilier

Intervention de Me DERHY Lorène pour le Figaro Immobilier

Lorène DERHY a été interrogée par le Figaro aux fins de savoir si la justice européenne a donné raison ou non à la ville de Paris dans sa lutte contre les propriétaires airbnb.

BFM IMMO

Avis de Maître DERHY pour BFM IMMO suite à l’arrêt rendu par la CJUE

Lorène DERHY a été interrogée par BFM IMMO en sa qualité d’expert en location touristique aux fins de connaître les raisons pour lesquelles le match n’est pas terminé entre la Ville de Paris et les propriétaires loueurs airbnb suite à l’arrêt rendu par la CJUE.

le parisien

Intervention de Maître DERHY pour le Parisien suite à l’arrêt rendu par la CJUE

Lorène DERHY a été interrogée par Le PARISIEN aux fins de connaître sa position sur la bataille conditionnelle de la Ville de Paris dans sa lutte contre les propriétaires airbnb au regard du dispositf de compensation qu’elle a mis en place.

 

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