L’avis de l’avocat général de la Cour de justice européenne tant attendu par les fraudeurs à la réglementation airbnb et la Ville de Paris a enfin été rendu le 2 avril 2020 par Me Michal BOBEK !
Celui-ci s’est prononcé en faveur de la procédure d’autorisation imposée aux loueurs touristiques par le droit français, tout en contestant la méthode de compensation mise en place par la Ville de Paris qui lui semble non proportionnée voire discriminatoire par rapport à la réalisation de l’objectif poursuivi, à savoir répondre au problème de pénurie de logements.
1. Sur quoi porte le litige porté devant la Cour de justice de l’union européenne ?
1.1 Rappel des faits
Deux sociétés distinctes offraient à la location un de leurs studios situé à Paris sur la plateforme Airbnb pour des courtes durées à une clientèle de passage sans avoir respecté préalablement la procédure d’autorisation prévus par les articles L 631-7 et L 631-7-1 du CCH.
Suite à une enquête menée par les agents de la Ville de Paris en 2015, lesdites sociétés ont été attraites en justice.
C’est ainsi qu’elles ont été condamnées à la somme de 40.000 € pour avoir proposé à la location leur appartement parisien sans avoir respecté la procédure d’autorisation, outre le retour de leur bien à leur usage d’habitation.
Après le rejet de leur appel initial, les requérantes ont formé un pourvoi en cassation devant la cour de cassation au motif que la Cour d’Appel aurait violé le principe de primauté du droit européen en ce que celle-ci n’avait pas établi que :
– la restriction à la libre prestation de service que constitue la procédure d’autorisation imposé par le droit français pouvait être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, comme l’exige la directive 2006/123 ; ou encore
– l’objectif poursuivi par cette réglementation ne pouvait pas être réalisé par une mesure moins contraignante comme l’exige l’article 9 de ladite directive.
C’est dans ces conditions que la cour de cassation, par un arrêt du 15 novembre 2018, RG n° 17-26.158, a sursis à statuer et a saisi la Cour de justice de l’union européenne afin qu’elle se prononce sur la comptabilité de la réglementation nationale prévue par l’article L 631-7 du CCH à la directive européenne 2006/13 régissant la libre circulation des services.
1.2 Rappel de la réglementation française des locations meublées touristiques
Selon l’article L 631-7 du CCH, à Paris et dans l’ensemble des trois départements de la petite couronne parisienne (Hauts-de-Seine, Seine- Saint- Denis et Val-de-Marne), ainsi que dans les villes de plus de 200.000 habitants, si vous souhaitez offrir à la location en meublé un appartement, qui ne constitue pas votre résidence principale, pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile, une règlementation spécifique s’applique en imposant la transformation des « locaux à usage d’habitation » en locaux à un « autre usage » (commercial, hôtelier…).
Dans une telle hypothèse, l’article L631-7 alinéa 6 du CCH soumet à autorisation préalable le changement d’usage des logements destinés à la location saisonnière dans les conditions fixées par l’article L 631-7-1 du CCH.
L’autorisation préalable au changement d’usage est délivrée par le maire de la commune dans lequel est situé le bien. Elle peut être subordonnée à une compensation sous la forme de la transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage.
C’est par délibération du conseil municipal de la commune concernée que sont fixées les conditions dans lesquelles sont délivrées les autorisation et déterminées, le cas échéant, les compensations.
Afin d’éviter la disparition d’habitats en zone urbaines marquées par un déficit de logements, la Ville de Paris a instauré une procédure d’autorisation soumise à compensation ; laquelle est très contraignante.
En pratique, le loueur saisonnier est confronté à un réel parcours du combattant tant la procédure est longue, coûteuse voire impossible, le poussant bien souvent à s’affranchir de la réglementation en vigueur.
Pour autant, les conséquences peuvent être désastreuses en cas d’opération de contrôle par les agents de la Ville de Paris. En effet, si le fraudeur se fait épingler par la ville, il pourra se voir attraire en justice et se voir exposé à une amende civile maximale de 50.000 €/meublé objet du manquement en conformité de l’article L 651-2 du CCH
1.3 A quelles questions doit répondre la CJUE ?
C’est ainsi qu’elle lui a posé 3 grandes questions préjudicielles, ci-après reportées :
a) Est-ce que la location des meublés touristiques entre dans le champ de la directive 2006/13 du 12 décembre 2006 régissant la libre circulation des services ?
b) Dans l’affirmative, l’objectif tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location constitue-t-il une raison impérieuse d’intérêt général permettant de justifier une mesure nationale soumettant à autorisation, dans certaines zones géographiques, la location d’un local destiné à l’habitation de manière répétée pour des courtes durée à une clientèle de passage ?
c) Dans l’affirmative, une telle mesure serait-elle proportionnée à l’objectif poursuivi ?
Depuis l’arrêt de la cour de cassation précité, l’ensemble des procédures initiées par la ville de Paris à l’encontre des potentiels fraudeurs ont été gelées devant le Tribunal judiciaire de Paris, lequel automatiquement sursoit à statuer dans l’attente de l’arrêt de la CJUE
Il convient de préciser que la Cour de justice ne rend son arrêt qu’après que son avocat général ait rendu ses conclusions.
Après de longs mois d’attente et de report successifs, Me BOBEK a enfin rendu ses conclusions le 2 avril 2020 et a pris soin de répondre aux trois questions précitées. La décision de la Cour de Justice devrait donc intervenir d’ici la fin de l’année 2020.
2. Quels sont les enseignements tirés de l’avocat général ?
Aux termes de ses conclusions, Me BOBEK a indiqué s’être posé la question de savoir s’il devait analyser la conformité de la procédure d’autorisation uniquement au regard de la réglementation nationale comme l’avait sollicité la Cour de cassation, ou s’il devait également étudier la réglementation d’application municipale de Paris.
Considérant qu’en pratique c’est la réglementation municipale qui confère un contenu concret au cadre national général puisqu’en cas d’infraction l’amende civile est reversée intégralement à la commune où le bien litigieux est situé, Me BOBEK a décidé d’examiner, en sus, la compatibilité du régime d’autorisation soumis à compensation instauré par la ville de Paris au régime européen.
2.1 Le principe national d’autorisation de changement d’usage est conforme au droit européen
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La location touristique entre dans le champ de la directive
En premier lieu, il reconnaît que la directive 2006/123 qui pose le principe de la libre prestation de services est applicable aux dispositions nationales et municipales encadrant le régime de la location des meublés touristiques.
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La procédure d’autorisation administrative est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général
Il rappelle que l’article 9 de la directive autorise que les états membres puissent subordonner l’accès à une activité de service et son exercice à un régime d’autorisation si 3 conditions cumulatives sont réunies :
- la nécessité d’un régime d’autorisation doit être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général ;
- le régime d’autorisation ne doit pas être discriminatoire à l’égard du prestataire visé ;
- l’objectif ne peut pas être poursuivi par une mesure moins contraignante.
Il précise que « ni la liberté d’entreprise ni le droit de propriété n’ont de caractère absolu » et peuvent tous deux être limités si des raisons impérieuses d’intérêt général le justifient.
C’est ainsi qu’il reconnaît sans hésitation que l’objectif tenant à la « lutte contre la pénurie de logements destinés à la location de longue durée » mais également la « protection de l’environnement urbain » peuvent constituer une raison impérieuse liée à l’intérêt général justifiant la mise en place d’une mesure nationale imposant l’instauration du régime d’autorisation tel que fixé par l’article L 631-7 du CCH.
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À la condition que l’autorisation soit proportionnée et non-discriminatoire
Toutefois, il précise que de telles restrictions nationales et municipales ne peuvent être autorisées que si elles respectent les conditions de proportionnalité et de non-discrimination, conformément aux conditions d’octroi d’une autorisation fixées par l’article 10 de la directive.
– S’agissant de la proportionnalité : il indique que l’instauration d’un régime d’autorisation est légale si l’objectif poursuivi ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment lorsque les contrôles a posteriori ne suffisent pas pour atteindre l’objectif poursuivi ; ce qui l’estime pouvant être le cas en France.
– S’agissant de la non–discrimination : il précise que les régimes d’autorisation doivent être équitables et ouverts à tous en termes d’accès au marché du logement destiné à la location de courte durée.
Il conclut que le cadre légal français imposant un régime d’autorisation constitue clairement un moyen autorisé par la directive européenne dont la conformité doit être apprécié au niveau municipal de chaque commune. C’est ainsi que pour garantir l’adaptation proportionnée de chaque régime d’autorisation municipale, il invite chaque commune, qui envisage d’instaurer un tel régime, de tenir compte des spécificités du marché du logement local dans sa circonscription, et de ne surtout pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour lutter contre la pénurie de logement
2.2 L’obligation de compensation du modèle parisien vivement critiqué
Si l’Avocat Général ne remet pas en cause la nécessité même d’instaurer un régime d’autorisation par le droit français pour lutter contre la pénurie de logement, il remet en cause l’obligation de compensation conçue par la ville de Paris dès lors qu’elle aurait pour finalité d’anéantir totalement l’objectif de la demande d’autorisation elle-même.
Au soutien de son analyse, il donne un exemple assez criant où il démontre la complexité et les contradictions de la procédure de compensation à Paris qui est bien trop restrictive et rend difficile voir impossible la location touristique pour les non-professionnels, à savoir : « celui d’un bailleur non professionnel qui possède un studio de 20 mètres carrés au cœur de Paris, qui n’est pas sa résidence principale, puisque cette personne habite à la périphérie de la ville. Dès lors que le régime d’autorisation et la condition essentielle de compensation qu’il prévoit s’appliquent à tous les propriétaires, ce bailleur devra également acheter un local commercial situé dans le même quartier, d’une surface identique ou double, et le transformer en logement résidentiel (destiné à la location de longue durée) afin de pouvoir louer le petit studio sur le marché de son choix. Une telle obligation est-elle également proportionnée à l’égard de ce type de propriétaires ? “
Par cet exemple, il démontre qu’en pratique cette autorisation est quasiment impossible à obtenir notamment pour un non-professionnel et que les critères de proportionnalité et de non-discrimination sont quelque peu bafoués.
Il se pose la question de savoir si ce mécanisme n’est finalement pas réservé aux plus riches, comme il l’indique dans ses termes « Il serait à mon sens quelque peu difficile d’expliquer pourquoi l’accès à un marché plutôt rentable (…) ne devrait être réservé qu’aux plus fortunés qui peuvent satisfaire l’obligation de compensation, et qui seront généralement des personnes morales ou des promoteurs immobilier, comme l’a laissé entendre la ville de Paris. (…) pourquoi (…) devrait-il être réservé, pour employer une métaphore, à ceux jouant déjà au Monopoly (en grandeur nature) ».
Me BOBEK conclut que c’est à la Cour de cassation que revient le soin d’examiner le respect des principes de proportionnalité et de non-discrimination au regard de la directive, y compris la mise en œuvre concrète de l’obligation de compensation du modèle parisien par rapport aux circonstances et spécificités locales, tout en lui insufflant très discrètement quelques recommandations.
C’est ainsi qu’il émet l’idée que l’obligation de compensation instaurée par la Ville de Paris pourrait être proportionnée, « notamment en prévoyant quelques exceptions telles qu’une limitation de l’obligation de compensation aux locaux supérieurs à une certaine surface, ou une limitation aux propriétaires ayant plusieurs locaux d’habitation, ou la délivrance d’autorisation temporaires non soumises à compensation qui seraient réexaminées périodiquement et éventuellement redistribuées ».
Par une lecture a contrario, Me BOBEK avoue implicitement que le modèle parisien ne serait pas conforme à la directive bien qu’il laisse soin à la cour de cassation d’en juger.
3. L’avis de l’avocat général lie-t-il la Cour de justice Européenne ?
L’avocat général, rattaché à la Cour de justice, a pour mission de présenter publiquement en toute impartialité et en toute indépendance des conclusions motivées sur les affaires soumises à la Cour de Justice lorsque le contenu du contentieux l’exige.
Ses conclusions interviennent plusieurs semaines après la clôture de la procédure écrite et les. La Cour délibérera de l’affaire ensuite ; étant précisé qu’elle n’est en aucun liée par le contenu et la solution proposée par l’avocat général. L’avocat général n’est pas un juge et n’a aucun pouvoir hiérarchique ou moyen de pression sur la cour, bien qu’en pratique la Cour le suit généralement.
4. Quid des procédures de la ville de Paris à l’encontre des fraudeurs ?
Les personnes qui ont été assignées par la Ville de Paris continueront à voir leur procédure suspendue tant que la Cour de Justice n’aura pas rendu son arrêt sur la conformité de la procédure d’autorisation instituée par l’article L 631-7 du CCH au droit européen. Son arrêt devrait intervenir d’ici la fin de l’année 2020.
Pour ceux qui continuent à s’affranchir de la réglementation, la Ville de Paris n’hésitera pas à continuer ses opérations de contrôle et à délivrer des assignations à leur encontre.
5. Quel avenir pour les locations touristiques ?
La Ville de Paris crie victoire dans la presse… Pour autant rien n’est à ce stade joué dès lors que les conclusions de l’avocat général ne lient pas la Cour de justice, même s’il est très souvent suivi.
Si l’avocat général retient que le régime français d’autorisation de meublés touristiques est compatible avec le droit européen dès lors qu’il peut être justifié par un motif impérieux que constitue la lutte contre la pénurie de logements , celui-ci n’hésite pas à contester le modèle parisien qu’il trouve inadapté et injustifié.
C’est ainsi qu’il remet en cause habilement les conditions de proportionnalité et de non‑discrimination de l’obligation de compensation instaurée par la Ville de Paris, tout en expliquant qu’il reviendra à la juridiction nationale de les vérifier.
Si la cour de justice suit l’avis de l’avocat général, la Ville de Paris devra certainement justifier du respect du principe de proportionnalité et de non -discrimination de l’obligation de compensation instauré par son règlement municipal par devant la Cour de cassation. La procédure étant en pratique tellement complexe voire impossible, qu’il est raisonnable de pouvoir émettre l’espoir que la Cour de cassation la déclarera comme contraire au droit européen.
A contrario, si l’arrêt de la Cour de Justice à venir se révélait être favorable pour les communes, alors il est aisé de penser que ces dernières emboîteront le pas et mèneront à leur tour des opérations de contrôle aux fins de poursuivre les fraudeurs et espérer pouvoir obtenir à leur bénéfice des condamnations pouvant aller jusqu’à 50.000 € par meublé, objet du manquement.
Affaire à suivre